Avec un certain recul, en quoi cette pandémie a changé le cours de votre vie artistique ? Comment vivez-vous avec les nouvelles contraintes (port du masque, distanciation, nombre limité de gens dans un même endroit, frontières fermées, l’attente d’un vaccin, etc.) ? Avez-vous surmonté des obstacles que vous pensiez infranchissables de prime abord ? En quoi cette pandémie de 2020 vous a-t-elle révélé des choses à vous-mêmes ? Quel regard portez-vous sur 2021 au niveau de votre vie d’artiste professionnel(le) ?

La première vague n’était pas terminée qu’on nous annonçait déjà, au début du mois de juin, une deuxième vague à venir. J’ai trouvé cela extrêmement démoralisant. A mes yeux, c’était une pré-programmation de mon futur… et, évidemment, l’anxiété a été présente une bonne partie de l’été en attendant cette vague scélérate.

Étant à risque, entre le 9 mars et le 1er septembre, je suis sortie seulement trois fois de chez moi. Le travail se faisait à distance et j’étais plutôt heureuse d’avoir cette chance de travailler chez moi, dans mon bureau, quand j’avais des demandes de service.

Lors de l’une de ces trois sorties, le 8 août, je suis partie en ambulance avec la terreur de me retrouver dans un nid covidien. Ce jour-là, j’ai failli mourir seule. Pandémie oblige, personne n’accompagne les gens quand ils partent à l’hôpital. On focalise sur la COVID en oubliant qu’il y a bien d’autres choses à soigner EN PLUS de cet indésirable virus. L’urgence de ce grand hôpital spécialisé à Québec semblait bondée. Les malchanceux arrivent seuls et, dans le meilleur des cas, repartent chez eux… seuls. Tout l’espace de l’hôpital était réquisitionné pour mettre encore plus de gens seuls dans des cellules de confinement improvisées avec des bâches blanches scotchées hermétiquement du sol au plafond. De ce que j’ai vu, il y avait beaucoup de personnes âgées, mais pas forcément atteintes de la COVID-19. Le mot « solitude » a été intimement associé à la pandémie… et plusieurs personnes sont mortes de cette solitude qu’on nous a imposée sous prétexte d’agir pour notre bien à tous. A l’hôpital, ce jour-là, j’ai vu des aînés seuls, le regard vide, le regard triste. Nous étions tous atrocement seuls.

Pendant l’été, j’ai vu des photos de manifestations dans les journaux, des gens s’attroupaient pour clamer haut et fort leurs droits et libertés, d’autres manifestaient pour telle autre cause importante. En réalité, j’avais peur pour eux, ces braves gens sans protection, tous collés par milliers les uns sur les autres. Idem pour ces vacanciers qui s’entassaient comme des sardines sur les moindres recoins sablonneux du Québec. J’étais terriblement anxieuse pour eux. Je voyais déjà la deuxième vague déferler le long du Saint-Laurent. Autant ils avaient été séparés des uns des autres pendant le confinement, autant pour les vacances, ils rattrapaient le temps perdu avec une hyper-proximité, comme si le juste milieu n’avait plus sa place dans notre monde.

Pendant ce temps-là, les mauvaises nouvelles s’accumulaient: des amis avaient eu le virus et avaient failli mourir, un ami avait perdu plusieurs de ses proches en Italie, une femme que je connais avait perdu son père en France de la COVID mais avait, heureusement, conservé sa mère qui avait survécu au virus grâce au cocktail du Pr. Raoult, d’autres vivaient divers deuils à distance parce que la mort venait aussi des autres maladies, notamment le cancer qui n’a pas pris de vacances cet été, etc. Mon empathie en a été exacerbée. Pendant des mois, j’avais les émotions à fleur de peau. J’ai regardé les gens qui hurlaient au complot et aux théories des chiffres gonflés et j’ai pensé à ceux qui avaient perdu des proches à cause de ce fichu coronavirus. Depuis le début de cette folie, il y a eu du vrai, du faux, de l’info et de l’intox.

Et puis, la cerise sur le gâteau est arrivée; le futur vaccin. Il a fait couler beaucoup d’encre. C’était l’angoisse ultime selon le type de vaccin et/ou sa provenance (pré-commandé à grand$ frai$). Il n’était pas encore trouvé qu’on en faisait déjà son procès d’inquisition. Partout, la peur… Cette pandémie a été une campagne de peur et de désinformation jusqu’à la folie de la science-fiction des nano bots pour un meilleur contrôle des masses via la 5G !

Je crois que c’est à ce moment que j’ai carrément décroché de la réalité sociale. J’étais saturée. Je ne pouvais plus regarder ce monde s’agiter devant mes yeux. Tout me semblait disproportionné, aberrant, incompréhensible, incohérent. Le juste milieu avait perdu le cap. Le raisonnable était sous respirateur artificiel. La liberté avait été enterrée. Il y a eu trop de sujets traités avec la pensée unique sans débat scientifique public, trop de consignes gouvernementales qui allaient à l’encontre de la logique la plus élémentaire, trop d’incohérences dans la gestion de la crise, trop de pouvoir… Même les médecins avaient peur de parler et d’aller à l’encontre des instances officielles alors qu’ils étaient les meilleurs témoins de ce qui se passait réellement sur le terrain.

J’ai trouvé que le monde dans lequel nous vivions était profondément atteint d’un mal profond… et je ne parle pas du SRAS-CoV-2.

Avec une certaine volonté, tout autant qu’avec une volonté certaine, j’ai fait face à mes nombreuses anxiétés en les identifiant. Pour préserver mon esprit critique, j’ai volontairement évité la télévision où l’on nous annonce un drame expliqué en 30 secondes entre deux joyeux gavages publicitaires. Pour connaître l’heure juste sur la situation, je suis remontée jusqu’à la source de l’information scientifique pour la lire et la comprendre. Pour ce qui est du nombre croissant de nouveaux cas quotidiens, le jour où j’ai voulu me soustraire de cette angoisse, qui me tirait inexorablement vers le bas-fond du désespoir, j’ai cessé de m’en préoccuper tout simplement.

Pour la fameuse « bulle Atlantique », celle qui divisait les Canadiens en deux catégories: les pestiférés et les autres, elle me plongeait dans une attente aussi insoutenable qu’interminable. J’aurais voulu en faire partie. J’avais semé des graines dans les provinces de l’Atlantique en 2019. Pour moi, 2020 devait être une année importante, une année de bonne récolte, notamment au Nouveau-Brunswick. Je voyais tous mes efforts d’une année, tout mon travail, se réduire comme peau de chagrin à cause de cette frontière fermée. Pourtant, j’aurais dû savoir que l’année 20+20 sentait la quarantaine ! Pour me soustraire à cet état neurasthénique qui ne me ressemblait vraiment pas, j’ai commencé à replanter de nouvelles pousses au mois d’août. Mieux vaut tard que jamais… et puis, comme on dit souvent dans certaines circonstances: « un de perdu, dix de retrouvés ! »


J’ai cessé de m’en faire pour cette deuxième vague et, pour contrebalancer l’angoisse qu’on m’avait implantée, j’ai pris la décision d’aller visiter une région du Québec que je ne connaissais pas encore. J’ai repris le contrôle de mes décisions en quelque sorte. Je suis allée me ressourcer à la mer en septembre. Le lendemain soir de mon arrivée, j’ai lu dans le journal que le gouvernement songeait à reconfiner les régions et les sous-régions ! Il n’était pas question de laisser une nouvelle peur s’installer… et tant mieux si je devais rester coincée dans cette région qui n’avait aucun cas actif de COVID !

J’ai regardé ce que je pouvais contrôler dans ma vie: c’est-à-dire moi, mon environnement, mon état d’esprit, ma façon de réagir face à ce que la vie nous imposait. J’avais le choix de me laisser littéralement « bouffer » par le stress et la peur ou m’en libérer en posant les gestes nécessaires pour me couper de ses sources extérieures indésirables. Prendre du recul a été nécessaire et bénéfique. J’ai pu me reconnecter sur ma créativité littéraire, sur ce qui m’était le plus cher dans la vie et sur mon travail avec les artistes. J’ai revu mes priorités, aussi. Cela m’a permis de décider dans quel monde je voulais vivre.

J’ai compris à quel point le prêt-à-penser n’était pas fait pour moi.

Aller à l’hôpital m’a fait prendre conscience que la vie est fragile et précieuse. Je le savais déjà… mais il y a une différence entre le « savoir » et en « prendre conscience ». J’ai réalisé qu’il est important d’être en harmonie avec ce que l’on est vraiment, de suivre ses aspirations les plus profondes, d’être un électron libre, d’être un libre-penseur, de devenir ce pour quoi nous sommes réellement faits. Cette pandémie, je l’ai vue comme un test d’endurance, mais aussi comme un révélateur de personnalité.

Pour 2021, je ne tire aucun plan sur la comète, mais j’espère qu’une bonne étoile veillera sur nous tous. J’espère qu’il y aura de la place pour un juste milieu afin que nous retrouvions un certain équilibre dans une situation qui tend à partir vers les extrêmes.

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