Elle a posé la question à de nombreux artistes, mais comment a-t-elle vécu son propre confinement dans sa pratique rédactionnelle ?

HeleneCaroline Fournier

Une part importante de mon travail est la rédaction spécialisée. Une autre part de mon métier multifonction est l’organisation d’évènements artistiques et, donc, par conséquent, l’organisation de rassemblements entre artistes et amateurs d’art. Avant l’arrivée de la pandémie, je préparais un deuxième tome d’une trilogie, un livre autobiographique (qui devait sortir en juin 2020 dont la sortie a été carrément annulée à cause de la pandémie) et un livre d’artiste sur la nanoartographie prévu pour septembre. Je devais aussi monter une exposition internationale de 93 œuvres le 28 mars à Roberval (qui représente tout de même un bon 8 mois de préparation) et animer une conférence le 6 avril à Jonquière sur les femmes dans l’art à travers l’histoire. Le 13 mars, avec l’annonce de l’état d’urgence sanitaire au Québec, tout mon planning est tombé à l’eau. Bon nombre d’évènements au Québec et au Nouveau-Brunswick, auxquels je devais prendre part en mai, en juin et en juillet, en tant que commissaire d’exposition et/ou en tant qu’experte en art, ont été annulés dans la foulée. Il y a carrément eu un effet domino sur l’ensemble de mes activités professionnelles prévues au calendrier 2020. L’incertitude d’avoir un futur professionnel pour le reste de l’année m’a donc déstabilisée dès l’arrivée des interdictions des rassemblements, la fermeture des lieux publics, la fermeture des commerces, l’interdiction de circuler d’une région à l’autre, la fermeture des frontières provinciales, etc. J’ai dû restructurer mon entreprise dans l’urgence, en avril, ce qui n’a pas aidé à faire diminuer mon stress.

L’écriture en temps de pandémie

Pendant toutes mes années d’écriture professionnelle, je n’ai jamais connu le syndrome de la page blanche. J’ai toujours eu mille idées en tête et je maudissais le temps de n’être pas assez élastique pour tout écrire ce que je voulais. Entre 2006 et 2020, à titre de chroniqueuse spécialisée, journaliste indépendante, critique et experte en art, j’ai écrit de nombreux articles sur l’art, sur les expositions, sur les artistes en arts visuels, sur leur inspiration et sur leur environnement de travail. Pour moi, l’art est un sujet inépuisable. Or, avec l’arrivée de la pandémie et du confinement, j’ai dû me faire à l’idée qu’il serait impossible d’imprimer à temps et de lancer mon livre comme prévu en juin et en juillet, dont le double lancement devait coïncider avec une exposition de mon mari au Québec et une autre au Nouveau-Brunswick. Toutes les entreprises nécessaires à l’édition du livre ont fermé, du jour au lendemain, rendant inutiles les acro­baties pour contour­ner le problème par un travail à distance. Au niveau de l’écriture, c’était le désert, le néant, l’absence totale de mots. Le syndrome de la page blanche m’a carrément assommée. L’angoisse s’est incrustée dans ma vie et ne m’a plus quittée pendant mon confinement.

Étant à risque, vivant avec deux personnes également à risque, j’étais incertaine de notre futur à tous les trois. Il n’était pas question de risquer une sortie, ne serait-ce que pour aller chercher le courrier. Nous avons opté pour la livraison à domicile de nos courses et de nos achats en ligne. Il n’y a eu aucun contact réel avec le monde extérieur pendant plus de trois mois. Plusieurs heures par jour, j’avais les yeux rivés sur mon écran pour lire les nouvelles du monde. Je collectais les données. Je calculais les courbes. Je faisais mes propres prévisions en me basant sur ce qui se passait en Europe. J’essayais de trouver un semblant de réconfort. Ce n’était pas tant le confinement qui me posait problème, mais bien l’absence d’espoir d’avoir un avenir. Je ne voyais aucun futur personnel ni aucun futur professionnel. Je ne voyais que mes projets, mes contrats, mes rendez-vous, mes déplacements professionnels qui tombaient à l’eau, les uns derrière les autres. Je ne savais pas quand le confinement allait se terminer au Québec, si la frontière avec le Nouveau-Brunswick allait ré-ouvrir, quand les activités professionnelles de mon mari allaient reprendre. Je ne savais rien et on ne nous disait rien. C’était l’angoisse. Il n’y avait que les chiffres des nouveaux cas quoti­diens et le nombre de décès qui nous indiquaient que rien n’était terminé et que la course pour s’en sortir allait plutôt devenir un long marathon. Avant d’en finir avec la première vague, on parlait déjà d’une deu­xième vague à l’automne. J’ai vécu ce confinement comme un traumatisme. Comble de l’ironie, j’avais enfin du temps pour écrire ! Toutefois, je ne pouvais tout simplement pas me concentrer. Les mots me fuyaient, mon esprit était ailleurs. J’étais paralysée mentalement et émotionnellement par l’angoisse du moment.

La genèse du dossier spécial

Puis, une timide idée a germé, une nuit, en moi. Je devais reprendre la rédaction peu importe la forme. J’ai tenu un « journal de confinée » sur un blog privé. Je me forçais à écrire dans la forme littéraire la plus simple: le témoignage. J’ai suivi cette idée et j’ai proposé aux artistes, avec qui j’ai l’habitude de travailler, d’écrire le leur. Comment avaient-ils vécu ce confinement en mars et avril ? Donc, à l’aube du déconfinement progressif de mai, j’ai demandé à quelques artistes de participer à ma chronique estivale. Je les ai laissé s’exprimer et je suis venue encadrer leur témoignage par une rédaction journalistique sans effet de style. L’aspect sociologique de cet arrêt imposé, de ce stress vécu, de ce temps de non-vie productive, m’intéressait plus que tout. Je n’étais pas spécialement en zone rouge comme certains, mais je connaissais des gens qui avaient eu le virus et qui avaient failli en mourir. Je voulais lire ce que les artistes avaient vécu de leur côté et si ce confinement avait touché leur ins­piration et leur créativité en atelier. J’avais un impérieux désir de savoir comment ils voyaient la situation à travers leurs yeux de créateurs et de créatrices.

Le résultat positif de l’opération est que la rédaction de cette chronique estivale m’a donné un but et m’a aidée à ima­ger un futur. Il y aura un « après » COVID-19, certainement différent de cet « avant » que nous avons connu. Pour moi, en tout cas, il y a déjà un changement au niveau de mes services professionnels qui se font désormais à distance en attendant un éventuel vaccin. A travers les yeux des artistes qui ont participé à ce dossier thématique, j’ai vu de l’espoir. Cela m’a donné un coup de pouce pour retrouver le sourire au début du mois de juin. Cette série d’articles sera présentée sur une douzaine de semaines, chaque lundi, sur ce site, à compter du 6 juillet.

 

L’AUTEURE SUR INTERNET: son site personnel


LA CHRONIQUE HEBDOMADAIRE DE L’ÉTÉ
EXCLUSIVE À HEART

Dossier spécial: Artistes, comment avez-vous vécu votre confinement au niveau de votre pratique artistique?