Édith Liétar, comment avez-vous vécu votre confinement au niveau de votre pratique artistique ?
Édith Liétar est une artiste peintre belgo-canadienne qui vit à Brossard (Québec). Elle a suivi bon nombre d’ateliers de développement et de perfectionnement après avoir étudié le visagisme, le stylisme de mode et l’analyse des couleurs. Elle a débuté sa carrière d’artiste peintre en 2005. Dès ses premiers pas, elle a trouvé sa voie sur la scène internationale dans plusieurs pays du continent européen et américain. Son style atypique ne se résume pas qu’à une façon de peindre, mais aussi à une philosophie de vie. La liberté est son style. Ce style se présente « affranchi » de toutes contraintes par le biais de toiles uniques et empreintes d’une lutte quotidienne pour préserver une liberté de style dans une diversité de sujets. Elles ont leur propre caractère et leur propre façon d’exister. Ainsi, explorant l’inconscient, Édith Liétar voyage à travers son monde imaginaire, se laisse guider par la libre pensée et la libre expression, tout en vivant le moment présent.
Par son témoignage, elle nous offre un récit personnel, bien qu’elle utilise la troisième personne du singulier. Comme toutes les bonnes histoires de vilains et de gentils, elle débute par «il était une fois». Toutefois, l’histoire racontée est bien loin des contes merveilleux.
«Il était une fois, par un petit matin de mars, un gros virus invisible, venu de loin et traversant la planète en un temps record, faisant des ravages partout sur son passage. Une peintre vit alors, éveillée, un horrible rêve». Le surréalisme de la situation est facilement imaginable. «Devant sa propagation si rapide, et la désolation qu’il laisse derrière lui, elle se sent perdue, démunie. Puis viennent le confinement, les restrictions, les nouvelles qui évoluent et changent constamment; le lavage de cerveau, à tout instant, à la radio, à la télé, sur les réseaux sociaux: restez chez vous, lavez-vous les mains, ça va bien aller…». Son personnage a perdu tous ses moyens et ne se sent pas prête à prendre le pont coloré de l’arc-en-ciel pour des contrées plus verdoyantes. Ce que le récit ne dit pas c’est que l’artiste était tout juste de retour d’Espagne, là où le virus avait été particulièrement prompt à se révéler impitoyable. «Sa créativité en est tellement affectée qu’elle ne parvient plus à se concentrer, à rentrer dans sa bulle, à peindre. Du jamais vu ! Son imagination est complètement figée dans un état comateux». En quarantaine, à son retour de voyage, Édith Liétar s’angoisse dans l’attente de savoir si elle est atteinte, malgré l’absence totale de symptômes. Elle a pris l’avion avec son mari, aux premiers signes de danger, avant que les appareils ne soient tous cloués au sol par décret. Au Canada, c’est le tout début de quelque chose; un feu qui, malgré la neige printanière, va trouver son chemin et faire ses ravages.
Édith Liétar poursuit fébrilement son récit: «La famille, la ville, les amis, tout est fantomatique, virtuel. Il n’y a plus rien de concret. Se toucher, s’embrasser, tous ces gestes ancrés en elle, sont balayés. Cette liberté qu’elle revendique constamment dans sa façon d’être et dans son art, lui échappe, et elle sent la colère monter en elle.» C’est ainsi qu’elle a vécu les trop longues semaines de mars et une partie du mois d’avril. L’état comateux s’est mué en angoisse et l’angoisse s’est transformée en colère. «Un beau jour, un constat m’a sauté en plein visage», explique Édith en entrevue. Elle constate que le personnage féminin de son histoire surréaliste n’est pas elle, en fait; ce ne peut être elle car, la liberté, c’est autre chose. Ce n’est pas vivre dans la colère. Ce n’est pas être enfermée par la peur. Ce n’est pas être emmurée dans une inertie née de l’attente d’un espoir quelconque. Elle refuse d’incarner l’artiste de son histoire qui ne lui ressemble pas. «Alors, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes pour combattre cet imposteur. J’ai foncé dans mon atelier en écoutant mes CD à tue-tête, je me suis lancée dans ma peinture en faisant le vide autour de moi et en laissant parler mes émotions». Voilà plutôt qui est la vraie Édith, l’artiste libre. «Au fil des jours, une toile est née que j’ai intitulée Brasier planétaire». C’était en avril où l’on ne pouvait pas encore se découvrir d’un fil. En mai, lors de l’entrevue à distance, elle avait retrouvé sa propre contrée verdoyante, son propre univers plein de vitalité colorée.
«La nature se réveille après une longue attente. Les arbres fleurissent, les jonquilles et les tulipes dansent la farandole au gré du vent. J’ai l’esprit plus léger, une fois ma décision prise de substituer aux bulletins de nouvelles des films plus joyeux ou des émissions amusantes. Le sourire me revient enfin, me donnant des ailes; mes toiles s’allègent, je m’évade et je retrouve mon espace de créativité basé sur la liberté. Ma signature et ma force: la liberté, c’est un style». Édith persiste et signe face à ce style, véritable philosophie de vie et mode de vie aux émotions franches.
On ne peut néanmoins conclure par «tout est bien qui finit bien», comme ces contes pour enfants où les vilains sont définitivement anéantis, d’un coup de baguette magique. Plusieurs questions subsistent car, nous le savons, il y aura un « après » Covid-19; ce sera différent. «Quel sera l’impact sur les artistes et la culture après cette pandémie? Les humains seront-ils plus humains? Retrouveront-ils les droits et libertés dont ils ont été privés? À force d’entendre parler de distanciation sociale et d’en prendre l’habitude, quelle société cela va engendrer ? Et nos enfants, est-ce que les baisers et les caresses les feront fuir?» L’artiste se pose des questions légitimes sur les conséquences sociologiques de ce que nous avons vécu individuellement tout autant que collectivement.
J’ignore comment cette histoire se terminera. Mais j’aime croire que cette période sombre, digne d’une série noire, laissera place à une série en couleurs, qui fera s’éloigner peu à peu cette éprouvante période, nous permettant de retrouver le calme et de réapprendre à communiquer sans barrière et sans masque. Entre temps, je continuerai de peindre .
Peut-être que les artistes seront les artisans de cette série en couleurs qui viendra adoucir les souvenirs de cette période particulière de nos vies. Peut-être que les arts, qui ont si bien nourri notre confinement, continueront d’alléger notre attente d’un vaccin. Peut-être aurons-nous encore besoin des dessins d’enfants pour voir la vie autrement… seul l’avenir nous dira à quel point l’art a été important pour notre survie à tous.
ÉDITH LIÉTAR SUR INTERNET: son dossier d’artiste
LA CHRONIQUE HEBDOMADAIRE DE L’ÉTÉ
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