LO, comment avez-vous vécu votre confinement au niveau de votre pratique artistique ?

Laurent Torregrossa, alias LO, est un artiste franco-canadien, issu de l’École des beaux-arts de Toulon (France). Depuis 1989, il travaille comme artiste peintre. Ses sujets de prédilection sont les marines hyperréalistes. Par elles, il raconte une vie passée en tant que navigateur et planchiste sur la Côte d’Azur. Les scènes qu’il peint sont calculées sur le principe du nombre d’or, de la divine proportion. L’équilibre est partout, autant dans sa peinture que dans sa vie personnelle. Il peint à la manière d’un moine taoïste, 10-12 heures par jour, dans un monde de solitude, dans la simplicité de son atelier de Québec, pratiquant inlassablement le geste précis, le mouvement dans l’immobilité, la quiétude au gré des marées. Il témoigne dans une prose que je n’ai pas oser retoucher.

Oeuvre de LO, Hygie

« Petit frimas, petite brume, petite neige, je roule. Je ralentis… je le vois, fascinant, vouté, mince mais imposant, tranquille, à l’affût. Il me captive… change ma perception de l’époque. Un frisson parcourt mon épiderme. Dans mon esprit s’installe un doute furtif, je l’ai dépassé, déjà dans mon rétroviseur, déjà du passé. C’est ce matin qu’un frisson de l’air diffère, une impression sourde de pesanteur, cet animal dont l’image s’estompe traverse la route, disparaît dans les méandres d’un monde qui ne serait plus jamais le même. Souvent, on perçoit l’indiscible par instinct, quelque chose avait changé, mais quoi ? L’air, l’eau, le temps, l’espace ? Qu’est-ce qui différait ? Ce loup, tout en gamme de gris, pelage samouraï, allure noble, campé dans une prestance héroïque coupait mon histoire, tranchait littéralement le sens de nos vies, il était le symbole du début de quelque chose… mais de quoi ? » C’est ainsi que l’artiste a débuté son témoignage. La vue de ce loup gris solitaire, aux abords de la ville de Québec, sorti d’on-ne-sait-où, a été perçu comme un « Okami », un esprit ayant la forme d’un loup. Un tantinet animiste, l’artiste a senti que c’était un présage. Cela se passait le 9 mars 2020, quelques jours à peine avant le décret de l’état d’urgence sanitaire au Québec.

« Je suis loin de me douter qu’en cette ma­tinée d’hiver 2020 s’amorce le début d’un long périple cloisonné, l’exploration forcée des confins d’un espace clos, limité. Je vais devoir apprendre, tel un élève Shintoïste, à vivre en réflexion avec moi-même, apprendre à ménager mes émotions, essayer d’organiser mon esprit à vivre avec cet « hôte » qui s’installe. Je peins depuis longtemps maintenant, des années à me hâter lentement et sans cesse sur le métier remettre mon ouvrage, comme un moine enlumineur, couleur sur couleur, trait sur trait, toile après toile, après dessin. Je suis assis sur un petit banc avec mon petit pinceau, comme tous les jours, mais dans l’équation s’ajoute une nouvelle donnée: le périmètre de l’univers se réduit au logis. Peut-être que les limites de l’esprit, elles, s’étendent un peu plus ? Certainement qu’une privation d’un côté ouvre une porte ailleurs ? Il faut trouver des solutions à la restriction de notre espace, s’habituer à évoluer, trouver un rythme adapté à la situation. Je ne réfléchis pas, l’azur occupe mon esprit, des alizés balaient mes idées, quelquefois les tambours de l’info s’infiltrent entre des vents dominants. Je suis ce présent, ici et maintenant. Seule cette seconde existe. J’ai toujours été cet instant unique. Je n’anticipe pas les choses, elles dévalent tel un ruisseau ou une rivière déchaînée. L’obligation de rester à distance des autres change une notion profonde et innée des tréfonds de la condition humaine. Depuis des temps reculés, nous nous réunissons autour d’un feu, célébrons, échangeons sans contraintes… mais, pour nous protéger, l’éloignement s’impose et impose une discipline comportementale étrange ».

Oeuvre de LO, Un pas de plus

L’artiste se sent très humble devant cet « hôte » qui s’est invité dans nos vies et qui a imposé ses règles à l’humanité. Il est bien conscient de faire parti d’un grand tout interrelié.

« Je suis assis, juste devant la petite porte patio de la petite cour arrière de la petite maison que nous habitons, au détour d’une petite rue, d’un petit village, d’une petite province, d’un petit pays, d’un petit continent, d’une petite planète de l’uni­vers infini. Dans ce périmètre extérieur, je sens de l’oxygène pur, sensation enivrante que les alvéoles de mes poumons se nettoient, des multitudes de chants d’oiseaux, comme un Éden foisonnant, beaucoup moins de bruits domestiques, une sorte d’acoustique Zen ». Cette pause d’activités humaines est vécue avec les sens et lui apporte de nouvelles sensations.

Certainement que le manque de nouveautés de paysages, de diversité devant mes yeux, se traduit par une explosion de mon imagination qui force mon cerveau à inventer des images, à combler ce manque par des constructions virtuelles et colorées.

Les pinceaux de LO voguent comme avant, mais avec un vent différent. Tel un marin naviguant au sextant, le regard levé vers les étoiles, l’important, entre deux vagues, c’est de savoir garder le cap et de poursuivre sa voie.

LO SUR INTERNET: son dossier d’artiste

 


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Dossier spécial: Artistes, comment avez-vous vécu votre confinement au niveau de votre pratique artistique?