Etre comme l’eau

Lorsque l’artiste vivait en France, il bénéficiait d’un large atelier éclairé avec une vue sur son jardin verdoyant d’Houdlémont (en Meurthe-et-Moselle en France). Lorsqu’il s’établit à L’Ancienne-Lorette, en banlieue de Québec, son atelier change radicalement. Il vit désormais dans un appartement 4 1/2. Le salon, transformé en bureau et atelier, ne lui offre qu’un coin vraiment très exigu… ce qui ne l’empêche pas de peindre de grands formats quand il le souhaite.

Dès 2006, lorsqu’il emménage à Cap-Rouge, un quartier de Québec, il retrouve un atelier digne de ce nom. Bien qu’il bénéficie d’un espace adéquat pour peindre tout ce qu’il souhaite du petit au très grand format, il peint toujours dans un recoin de l’atelier.

« Se contenter de peu c’est la richesse »
– Lao Tseu

LO est un poète de l’image. C’est aussi un rêveur. Il aime rêver et faire rêver. «Sans art, il ne serait pas possible de parler de nos rêves, de nos espoirs, de nos certitudes», explique LO qui voit l’art comme un moyen d’exister et de survivre. «Sans l’art, ma machine humaine ne tournerait pas à plein régime.» S’il peint des bateaux, c’est pour combler des manques, des vides, des espaces à remplir. Pour lui, ses œuvres sont l’expression d’une longue période vécue près de la Grande Bleue, la mer Méditerranée. Sa peinture exprime le retour à l’essentiel de la vie: la liberté, l’amour et le moment pleinement vécu comme si c’était le dernier.

LO est donc un artiste qui vit intensément le moment présent et qui ne veut pas savoir de quoi demain sera fait. D’ailleurs, il déteste les prévisions météorologiques. Il préfère découvrir le temps qu’il fait au moment du réveil. Il est l’ennemi acharné des idées toutes faites, préconçues, prédestinées à un public-cible. Il déteste tout autant les prévisions dans le temps, comme les rendez-vous dans un agenda. Il n’a jamais porté de montre et n’a jamais eu de calendrier dans son atelier. Il préfère prêter l’oreille au murmure du vent et se réjouir du son de la pluie.

Son atelier est un peu à l’image de ce côté taoïste qu’on retrouve chez l’artiste. Il n’aime pas s’entourer de gens pour peindre. Il se passionne pour le discernement silencieux de l’œuvre en devenir et pour son interaction entre lui et les couleurs. Lorsqu’il sort de l’atelier, il est heureux de vivre, chaque rencontre apporte ses fruits. La discussion peut durer des heures; la philosophie qui s’en suit peut durer des années.

Quand il peint, il va droit à l’essentiel, dans une narration de l’image qui n’a rien de décoratif, qui apporte le rêve à celui qui s’y plonge. LO s’accommode d’espaces restreints. Alors qu’il a un atelier et qu’il pourrait en disposer de façon moins spartiate, il peint toujours dans le même recoin de la pièce, écoutant d’une oreille France Inter et des émissions radiophoniques disponibles sur Internet. Dans son atelier de Québec, il dispose d’un chevalet droit, un meuble ancien ramené de France, une table à dessin industrielle, une desserte et un tabouret en bois.

Avant la pandémie COVID-19, il sortait occasionnellement de son atelier pour peindre en plein air, notamment l’été, quand il faisait chaud. Fut un temps où il croquait sur le motif des paysages de nature sauvage en trempant son pinceau à même la rivière et en étalant l’aquarelle sur du papier Darche de petite dimension. Maintenant, il se cantonne à sortir un chevalet de travail dans son jardin zen où il peut entendre l’eau couler de son bassin de jardin. Il lui arrive aussi de travailler à l’aquarelle sur le bord de la mer, quand cela lui est possible.

Ce n’est pas un artiste qui aime particulièrement la foule; le côté casanier de LO contraste d’avec ses obligations d’être présent lors de vernissages. Lors d’un symposium, l’artiste préfère discuter avec les gens qui l’interrogent sur sa technique qui se rapproche parfois de l’art photographique. La peinture en public n’est pas faite pour lui, puisqu’il travaille lentement, sûrement, patiemment. Il préfère regarder le ciel, s’éblouir de soleil et profiter des rencontres que le moment présent lui offre.

L’atelier de Québec est rangé, rien ne dépasse. D’ailleurs l’aspect propre de l’atelier surprend beaucoup le visiteur qui s’attend à un Capharnaüm. Tout est à sa place et tout a une utilité.

Pendant des années, l’artiste a travaillé avec un bleu de travail – celui de son père, Francis Torregrossa (1942-2022) et celui de son oncle Claude Torregrossa (1944-2000), deux anciens travailleurs de la sidérurgie lorraine. Plus récemment, il a troqué le bleu de travail pour des chemises à carreaux bien qu’il ait toujours conservé cet esprit « travailleur » en lui.

L’artiste-rêveur aime les objets qui ont une histoire, une âme, tel que le meuble de cuisine de sa grand-mère; objet du patrimoine familial qui l’a vu grandir. Il est là, à ses côtés, en chêne massif, recouvert d’une fine pellicule de bleu due à ses nombreuses utilisations de l’aérographe pour souffler le ciel et la mer sur ses toiles. L’artiste utilise très peu de couleurs pré-mélangées. Il utilise, depuis 1989, le même bleu, le même rouge et deux teintes de jaune. Il combine ses couleurs primaires avec de la Terre d’ombre brûlée, de la Terre d’ombre naturelle et/ou de la Terre de Sienne naturelle. Avec le blanc et le noir, cela représente toutes les couleurs qu’il utilise pour créer toutes les autres. Ses petits pinceaux à bout rond sont rangés en quantité industrielle dans des tiroirs, ainsi que les palettes en plastique qui lui servent à mélanger sa peinture. Il utilise quelques palettes et plusieurs pinceaux par toile, puis les objets sont recyclés après usage. Il faut savoir que LO se sert toujours de pinceaux neufs et d’une palette vierge, histoire de rester en bons termes avec les outils qui se mettent à son service le temps de la création d’une œuvre. Ils sont éphémères a contrario de l’expression de liberté et d’harmonie qu’on ressent au contact d’une marine de LO. Ce labeur – jusqu’à 400 heures pour une grande peinture 36 x 48 pouces – rejoint son côté taoïste où le geste est posé consciemment, pratiqué inlassablement, jusqu’à y mêler un sentiment de quiétude dans ses couleurs.

UN ATELIER MOBILE

LO a un atelier mobile qui le suit partout dans ses déplacements. Il loge souvent dans des hôtels ou dans des appartements temporaires alors, forcément, il a dû s’adapter à ses nouveaux environnements de travail. A Ottawa, son atelier se trouvait dans un grand appartement du centre-ville, d’où il entendait les rumeurs de la ville. A Saint-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie, il lui arrivait de peindre sur le balcon de l’appartement qui lui offrait une vue sur la rivière Richelieu où les oies jacassaient entre elles. A Roberval, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, il squattait une partie de la chambre qui avait vue sur la piscine extérieure. A Bonaventure, en Gaspésie, il utilisait le balcon de l’appartement où il aimait prendre son café tout en regardant la rivière Bonaventure et, au loin, la baie des Chaleurs. A Fredericton, c’était une chambre d’hôtel, à Charlottetown également. Donc, forcément, un recoin de chambre donnant sur un stationnement bondé. Or, à Halifax, l’appartement temporaire donnait sur le port d’Halifax. A Caraquet, il a logé à deux endroits, l’un qui lui permettait de voir la marina et le Port de Caraquet depuis le balcon de la chambre, l’autre (à Bas-Caraquet) où il pouvait s’étendre à loisir dans un chalet à deux pas de la plage, avec une vue splendide sur la baie de Caraquet.

C’est en 2022, qu’il a l’idée de construire lui-même un atelier mobile plus adapté à ses besoins. Il dessine les plans et échafaude un design adapté à la forme-fonction de l’artiste en vadrouille. Plutôt que traîner un chevalet de campagne étroit, des tubes de peinture plutôt que des pots, un siège indépendant, etc. Il choisit un tout-en-un. Un banc-coffre qui lui permet de ranger ses pots et ses tubes, des pinceaux et des palettes, de peindre sur place, de présenter des toiles accrochées à la structure, etc. La « LO MOBILE » est née. Elle se replie sur elle-même et se traîne comme un chariot.

L’atelier de LO est ouvert au public sur rendez-vous. Le public intéressé à visiter son atelier peut le contacter.


Texte d’HeleneCaroline Fournier, experte en art et théoricienne de l’art, rédactrice spécialisée, critique, journaliste indépendante, évaluatrice en collections