Dans le parcours des artistes, il existe des moments-charnières où tout peut basculer. Un doute trop lourd, une solitude trop longue, une critique acerbe née de la jalousie, l’incompréhension d’un proche ou une absence de reconnaissance peuvent mettre en péril une vocation artistique. Parfois, pourtant, une main tendue, un regard bienveillant, une parole juste ou un accompagnement discret, mais fidèle, suffit à tout changer.
Depuis 1997, j’ai eu le privilège d’accompagner de nombreux artistes en arts visuels dans leur développement de carrière, leur démarche artistique, leur affirmation stylistique. Je n’ai jamais cherché à être sous les projecteurs. Je pensais simplement faire mon travail, avec éthique et conscience professionnelle, dans le respect du talent de l’autre.
Le 7 mai dernier, un événement inattendu m’a bouleversée. Il m’a permis de voir mon travail sous un angle nouveau — à travers le regard des artistes eux-mêmes. Ce texte est né de cette prise de conscience. Il parle du doute que ressentent trop souvent des artistes sincères, de la puissance d’un soutien au bon moment, et de ce que signifie vraiment œuvrer dans l’ombre pour que d’autres puissent briller.
Ma venue à Roberval
Je n’étais pas revenue à Roberval depuis l’Internation’ART 2019 : une éternité à mes yeux. LO et moi avions été invités à une soirée organisée par une artiste du CIAAZ et son époux. Un 5 à 7 entre amis, entre artistes du collectif international que j’ai cofondé en France en 1997. Je ne m’attendais pas à des retrouvailles organisées en notre honneur.
Ce fut une soirée remplie d’émotions. Des artistes m’ont dit que j’avais fait une différence dans leur vie. Je suis restée sans voix. On m’avait déjà confié que j’avais «sauvé des vies», en empêchant certains artistes de s’approcher trop près du précipice, mais jamais qu’on me voyait comme «une pionnière», que j’avais changé le monde des arts. J’ai vu de la bienveillance, de la gratitude, de la sincérité chez nos hôtes, Réjane Tremblay et son époux Claude Munger. J’ai perçu un amour authentique des arts, du patrimoine, des récits de voyage chez Martin Gaudreault et sa conjointe Johanne Bouchard, chez Chantale Guy et son époux Ghislain Giguère, chez Jean-Marc Simard et son épouse Marie-France Valton.
Ce n’était pas un simple 5 à 7, mais un 5 à 11, avec la promesse d’une autre soirée vivifiante, chaleureuse et pleine de vérité.
Le doute : ce sentiment étrange
Lors de cette soirée du 7 mai, l’émotion a été forte. Non seulement parce que j’y ai retrouvé des êtres chers, mais parce que j’ai entendu des mots que je n’avais jamais entendus auparavant. J’ai été profondément touchée. J’ai dû me pincer plusieurs fois pour croire à cette réalité du moment. Car moi aussi, comme bien des artistes que j’accompagne, je connais ce sentiment étrange : le doute.
Le sentiment d’imposture ne touche pas les incompétents. Il touche ceux qui sont exigeants envers eux-mêmes, perfectionnistes, sensibles. Ce n’est pas un manque d’estime, mais une distorsion du regard sur soi. On pense qu’on réussit par chance. Qu’on ne mérite pas vraiment les compliments. Qu’un jour, les autres finiront par découvrir qu’on n’est pas aussi bon qu’ils le croient.
Chez les artistes, ce doute est amplifié par la solitude du processus créatif, le jugement constant — des autres, mais surtout de soi-même — et l’absence de repères objectifs. Comment savoir si une œuvre a de la valeur ? Comment ne pas douter, face au silence d’un public ou aux regards absents dans une galerie ? Ce syndrome peut être paralysant. Il peut pousser un artiste à décliner une exposition, à sous-estimer ses œuvres, à les retourner contre le mur pour ne plus les voir. Il se glisse dans des phrases comme : «Ce n’est pas encore assez abouti», «Ce n’est pas assez bon pour être exposé», «Je ne suis pas un vrai artiste, je n’ai pas de diplôme»…
C’est là qu’un regard extérieur, bienveillant, professionnel, peut tout changer. Non pas un éloge vide ou un jugement autoritaire, mais une reconnaissance sincère, argumentée, incarnée. Un accompagnement dans le vrai sens du mot.
Un seul mot peut changer une vie
J’ai souvent vu ce mélange d’audace créative et de peur de ne pas être à la hauteur. Et à certains moments-clés, un mot peut empêcher un talent de s’éteindre. Un mot sincère peut transformer un doute en acte de création.
Mon rôle, je l’ai toujours vu comme celui d’un phare. Pas celui qui dirige, mais celui qui empêche de s’échouer.
Au fil des années, j’ai mis de côté mes propres mots, mes projets littéraires, mon rêve de devenir scénariste, pour faire entendre ceux des autres. À 24 ans, j’ai tourné le dos à ma carrière émergente pour soutenir les artistes. J’ai nourri leurs rêves. Et même si cela a été parfois difficile, je ne l’ai jamais regretté.
Plus difficile, cependant, a été de voir certains artistes s’éloigner, sans un mot, après que j’aie ouvert tant de portes pour eux.
Mais ce 7 mai 2025, à Roberval, j’ai compris que mon travail avait du sens. J’ai consacré ma vie au soutien des artistes, comme agente, commissaire, marchande d’art, rédactrice, critique, conférencière, évaluatrice, directrice artistique du CIAAZ. J’ai accompagné des artistes dans les débuts, dans les transitions, dans les ruptures. J’ai vu des découragements, des renaissances, des élans. J’ai cru en eux, même lorsqu’ils ne croyaient plus en eux-mêmes.
Un travail multifonction avec un impact réel
Dans mon travail aux multiples facettes, j’ai toujours cherché à créer des espaces où l’artiste peut exister pleinement, sans être jugé(e), ni forcé(e) à entrer dans une case. Des lieux rares, mais essentiels. Des lieux où la parole est libre, où l’on peut parler de tout : des doutes, de la peur d’échouer, du marché de l’art, du manque de soutien, des revers, de la résilience.
La reconnaissance ne vient pas toujours du public, ni des institutions. Elle naît dans l’intimité d’une relation de confiance, d’un accompagnement fidèle, d’un dialogue durable. Elle se construit dans le respect mutuel, l’écoute, la durée.
J’ai toujours cru en cette durée. Je ne suis pas dans la fulgurance. Je marche à côté des artistes, sur la distance. Avec eux, je construis un avenir.
L’accompagnement comme un art
Le 7 mai à Roberval, j’ai compris que l’accompagnement est aussi un art. Un art discret, mais vital. Il ne s’agit pas de guider, mais de révéler. Pas de modeler, mais d’accueillir. Pas de tout savoir, mais d’être là. Présente. À la bonne distance.
J’ai porté des artistes à bout de bras, parfois à bout de souffle. Mais toujours avec foi.
Ce soir-là, une porte s’est ouverte : celle de la reconnaissance. Pas celle qu’on cherche. Celle qui vient quand les liens sont vrais.
Aujourd’hui, je sais que je n’ai pas travaillé en vain. Et si demain m’amène ailleurs, je garderai cette certitude tranquille : ce qu’on fait avec sincérité laisse des traces. Parfois invisibles. Parfois inoubliables.
Conclusion
Ce texte s’adresse à tous les artistes qui doutent. À ceux qui croient qu’ils ne sont pas légitimes. À ceux qui attendent un mot, un regard, une main.
Vous êtes nombreux. Vous êtes légitimes. Créer est un acte courageux. Il expose. Il déstabilise parfois vos proches. Il n’est pas soutenu à sa juste valeur. Et pourtant, il est nécessaire.
Alors cherchez les bonnes personnes. Offrez-vous le droit d’être soutenus.
Il faut parfois toute une vie pour mesurer l’impact qu’on a eu sur d’autres. Les artistes avec qui je travaille m’ont autant appris que je leur ai transmis. C’est peut-être ça, au fond, le vrai sens du mot «accompagnement» : marcher aux côtés de quelqu’un, sans prétention, mais avec constance. Jusqu’à ce qu’il prenne conscience de sa propre lumière.
Si ce texte rejoint un(e) artiste à un moment fragile, s’il lui redonne sa voix, alors il aura trouvé sa raison d’être.
Et si vous pensez que je peux vous être utile, en tant que collaboratrice professionnelle, sachez que le collectif international que j’ai cofondé s’appelle le Collectif International d’Artistes ArtZoom (CIAAZ). Vous pouvez y adhérer en tout temps :
www.artzoomconnection.com
Il suffit parfois d’un mot, d’un geste, d’un regard pour que l’art continue. J’en ai fait ma philosophie de vie. Ma raison d’être.
Et si un jour vous sentez que quelqu’un, par un mot ou un geste, vous a permis de continuer… dites-le-lui. Parce que ces mots-là, aussi, peuvent changer une vie.