Présentation de l’artiste
Ginette Ash est native de Rouyn-Noranda. Elle dessine et colore depuis son enfance. Elle a commencé à s’intéresser à la peinture à l’huile lorsqu’elle voyait son père peindre et bricoler. Dès son adolescence, elle veut devenir artiste peintre. Pour faire plaisir à ses parents qui souhaitent une profession plus stable, elle choisit un autre métier. Elle étudie en arts plastiques à l’Université du Québec de Trois-Rivières (UQTR) pour devenir enseignante en arts plastiques. En 1975, détentrice d’un baccalauréat en arts plastiques et en pédagogie, elle enseigne les arts plastiques au Collège de Lévis et, plus tard, au Collège Mérici à Québec. Malgré le travail très exigeant du domaine de l’enseignement, elle demeure active sur la scène artistique régionale depuis 1978.
Après 34 ans de loyaux services et d’amour pour la profession, elle prend sa retraite d’enseignante à cause de problèmes de santé. Elle décide de reprendre ses pinceaux. Elle se remet à peindre à temps plein. Tout au long de sa carrière professionnelle, elle s’inscrit à des cours de peinture à l’huile, à l’acrylique, à l’aquarelle sur papier et tissu, des cours de peinture sur bois ainsi que des techniques de faux-finis (façon trompe l’œil) auprès de plusieurs professeurs chevronnés pour se perfectionner. Passionnée de design, elle fait également des études en design d’intérieur aux Ateliers Imagine de Québec, de 1991 à 1994.
Depuis octobre 2009, elle est membre de plusieurs associations artistiques et obtient des prix et des distinctions pour son travail. En 2020, elle fait partie des quinze artistes professionnels qui participent à une étude sociologique ayant trait aux effets de la pandémie au niveau de la pratique artistique chez les artistes en arts visuels. Le dossier thématique spécial a été publié exclusivement sur HEART, magazine des arts, en deux volets, à l’été et à l’automne 2020. Elle réitère l’expérience en 2021 et 2022.
1) Pour réinventer un marché de l’art à l’ère post-COVID, à quoi doit-on renoncer? À quoi doit-on s’accrocher à tout prix ?
Avant de répondre aux trois questions, Ginette Ash a pris le temps de faire ses recherches et de bien réfléchir au sujet.
Pour l’artiste, l’ère post-COVID ne sera probablement qu’une autre vague. «Il serait utopique de penser à un retour à la normale. On va devoir vivre avec cette nouvelle réalité pendant plusieurs années», explique-t-elle en faisant la comparaison au virus de la grippe qui revient année après année. «Bien que le Québec soit frappé par une 6ème vague de COVID-19, l’ombre d’une 7ème vague à l’automne se fait déjà sentir. La plupart des mesures sanitaires ont été retirées, hormis le masque. Mais pourrait-on les voir réapparaître si la COVID-19 repartait de plus belle?»
Au cours de la dernière décennie, la précarité des activités en arts visuels au Québec propose une éventuelle et hypothétique ère post-COVID peu enthousiasmante pour les artistes. «C’est ce qui ressort d’un portrait peu reluisant de leurs conditions de vie publié par le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV)». Ce document fait suite à un sondage envoyé à plus de 2500 artistes et intervenants du milieu des arts visuels québécois en 2021. A la lueur de 541 réponses, le RAAV, en partenariat avec la firme François Delorme Consultation inc. (FDC), a dressé la situation socioéconomique des artistes en arts visuels du Québec. «Les artistes en arts visuels se retrouvent gravement désavantagés au moment de négocier avec les diffuseurs». La situation est plutôt sombre. «Peu représentés par des sociétés de gestion, sans protection publique adéquate du filet social, en l’absence de système de négociation collective, les artistes se retrouvent malheureusement dans une situation financière peu enviable, et nombre d’entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté. En général, les artistes en arts visuels au Québec vivent dans une pauvreté croissante et hors de leur contrôle, une situation qui a été aggravée par la pandémie. De plus, la pandémie COVID-19 a exacerbé cette situation, puisque très peu d’artistes ont pu bénéficier de programmes d’aide financière publique.» Selon cette étude, il y a un besoin urgent de changement pour améliorer la situation socioéconomique des artistes en arts visuels au Québec. Or, avec les changements prévus avec le projet de loi 35 qui remplacera les deux lois, la S-32.1 et la S-32.01, les artistes en arts visuels fondent de grands espoirs pour leur avenir socioéconomique.
«Le dépôt du projet de la loi 35 visant à harmoniser et à moderniser le statut de l’artiste par la ministre de la Culture et des Communications, madame Nathalie Roy, est un évènement qui était attendu par les artistes en arts visuels. Reste à savoir si les parlementaires pourront adopter le projet de la loi 35 d’ici les prochaines semaines, d’ici le 10 juin. Plusieurs en doutent!» Ce projet de loi 35 prévoit une seule loi pour régir le statut de l’artiste au Québec. Les écrivains et les artistes en arts visuels bénéficieront du même cadre que les acteurs et les chanteurs pour négocier leurs contrats. Tous les artistes bénéficieront de protections supplémentaires contre le harcèlement psychologique et sexuel au travail, etc. «Espérons que le législateur, dans sa sagesse, saura apporter les modifications souhaitées.»
Pour Ginette Ash, l’ère post-COVID sera probablement marquée par l’amélioration des conditions de vie des artistes, de leurs conditions de travail et de leur situation financière. C’est, du moins, l’espoir auquel il faut s’accrocher.
2) Quels sont les défis et enjeux auxquels font face actuellement les artistes professionnels en arts visuels et quels seront-ils à l’ère post-COVID ?
Selon l’artiste, avant l’arrivée de la pandémie, la culture se portait assez bien au Québec, malgré certains grands défis. «A la post-pandémie, il faudra remettre nos artistes sous le feu des projecteurs pour les faire briller à leur plein potentiel.»
En entrevue, elle faisait référence aux jeunes artistes qui ont terminé leur parcours académique pendant la pandémie, qui se sont retrouvés face à un marché leur offrant beaucoup moins de possibilités. «Cette relève, qui est l’avenir de notre culture, devrait donc être au coeur de nos actions. La majorité des artistes doivent occuper d’autres activités professionnelles afin d’assurer un revenu décent. Certains artistes se tournent vers l’enseignement des arts visuels au collégial, à l’université ou encore donnent des cours privés, qui offre un avantage financier.» Le défi pour un(e) artiste en arts visuels dit(e) professionnel(le) est de tirer son épingle du jeu tout en assumant un boulot d’appoint pour payer les factures.
«Le revenu de création médian varie selon le type d’art qui est pratiqué. Par exemple, les artistes qui pratiquent le dessin ou l’estampe ont un revenu de création médian plus faible (1500$) que les artistes dont la pratique principale est la sculpture ou la peinture (5000$)». Chez certains artistes, les revenus de création comptent: la création en elle-même, les droits d’auteur, la vente et la location d’oeuvres. Dans le domaine des arts visuels, la vente des oeuvres constitue la principe source de revenus. «En matière de financement de la pratique des arts visuels, les bourses constituent le principal soutien à la création et seule une minorité d’artistes en bénéficient. Les artistes en arts visuels sont malheureusement peu couverts par des régimes complémentaires de protection sociale ou de sécurité du revenu. En tant que travailleurs autonomes, la planification de retraite est moins encadrée que lorsque des régimes de retraite sont offerts par les employeurs. Cependant, un nombre important d’artistes occupent des emplois rémunérés en dehors de l’activité artistique. Ce qui porte à croire que ceux-ci peuvent bénéficier de protections sociales et de planification à la retraite moins risquée.»
Les enjeux et les défis pour les artistes en arts visuels sont nombreux c’est pourquoi il existe un contrat-type, rédigé dans les deux langues officielles, visant à permettre une relation équitable entre artiste et galeriste. Ce contrat-type a été élaboré avec le RAAV et l’Association des galeries d’art contemporain. De plus, le RAAV a mis sur place un fonds spécial destiné à aider les artistes en arts visuels victimes d’annulations de contrats en raison de la pandémie. «Ce coup de pouce financier est quand même limité à un plafond de 500$ par demande, ce qui est peu enviable ou jusqu’à ce que le fonds soit épuisé.»
L’artiste ne cache pas son découragement face à la situation des artistes en arts visuels. «Appauvri, inactif et démuni, voilà ce à quoi pourrait ressembler l’artiste de l’époque COVID.» Il faut noter que la grande majorité des artistes professionnels oeuvrant dans le milieu des arts visuels ont subi au moins 2 annulations d’évènements que ce soit des salons, des rencontres artistiques, des expositions personnelles ou collectives. «Autant d’occasions manquées de montrer son travail au public et de vendre.»
3) Pour survivre à court, moyen et long termes, l’artiste doit-il/elle miser sur le développement de son public ou le développement de son art ?
«Selon moi, l’artiste doit miser sur le développement de son public et aussi sur le développement de son art. L’un ne va pas sans l’autre.»
Avant l’avènement d’Internet, l’artiste dépendant essentiellement des galeries et des agents. Or, avec la démocratisation de l’art est survenu un nouveau type d’artiste: l’artiste entrepreneur. «Celui-ci se rapproche de son cousin, l’artisan, qui doit, en plus, créer des oeuvres uniques, s’occuper de sa propre commercialisation et mise en marché.»
Le marché de l’art a connu plusieurs crises. La crise pandémie en est une de plus. «La crise actuelle ne fera qu’accélérer ce mouvement de la relation directe entre l’artiste et son acheteur.» Si l’on songe à la fermeture de galeries, de centres d’art, de maisons de la culture, de lieux publics qui avaient une vocation de diffuseur dans les arts visuels, etc., il est plus que certain que l’artiste doit s’adapter à une nouvelle réalité. On lui demande maintenant d’être un tout-en-un, un homme-orchestre, alors que ses facultés naturelles sont souvent loin de l’administration, de la comptabilité d’entreprise, de la stratégie marketing et de la gestion du transport et des envois de ses oeuvres. Pour Ginette Ash, c’est l’occasion de miser sur des avenues nouvelles, créatives, et être à l’affût des possibilités prometteuses que la crise a engendrées, malgré elle.
«Les dernières études ont clairement démontré une croissance des ventes sur le web, malgré les annonces pessimistes du moment. Selon le rapport Hiscox, la vente d’oeuvres d’art en ligne, qui était déjà en croissance en 2019, connaîtra fort probablement une hausse d’ici les prochaines années, notamment auprès de la nouvelle génération d’artistes et des nouveaux collectionneurs qui fréquentent les plateformes d’art en ligne et les réseaux sociaux.» Il va de soi que les artistes doivent se préparer à une plus grande polyvalence dans l’exercice de leur métier en arts visuels. «Se préparer à la vente en ligne est non seulement une urgence, mais c’est capital pour rester dans la course. En cette période de crise, c’est le moment d’apprendre de nouvelles choses, que ce soit pour affiner sa technique actuelle, essayer un nouveau médium ou créer quelque chose de totalement unique.»
A cela s’ajoute l’ombre d’une récession. «Comment le secteur des arts sortira de cette autre crise?», s’interroge l’artiste. «Il est à prévoir que les gouvernements et la population auront tendance à promouvoir et à privilégier les achats locaux, particulièrement chez les petits marchands, les artisans et les artistes, pendant et après la crise. Ainsi, les artistes pourront prévoir exposer leurs oeuvres chez des marchands locaux ou s’associer aux festivals ou évènements de leur région. Les oeuvres à petits prix, soit les petits formats, reproductions, giclées ou produits dérivés sont aussi des options à considérer pour ce type de marché.»
Comme dans tout ordre naturel de l’évolution, c’est l’artiste qui saura le mieux s’adapter aux changements qui survivra.
SUR INTERNET
www.artzoom.org/ginetteash