Au début du mois d’avril, la crise aiguë montrait à quel point nous étions tous interdépendants, interconnectés les uns aux autres. Comme disait Pierre Theilhard de Chardin: « les vivants se tiennent biologiquement » et nous l’avons vu avec cette pandémie qui s’est propagée d’un individu à l’autre, jusqu’à toucher toutes les régions de la planète. Le côté relativement positif, c’est cette prise de conscience de l’unité des humains. Le côté négatif, c’est qu’elle a ravivé des tensions entre les pays. La mondialisation a été temporairement court-circuitée. La coopération, la mobilisation, la solidarité ont été les fruits d’un confinement simultané de plus de 3 milliards d’individus qui ne se connaissaient pas, mais qui avaient tous les mêmes objectifs sanitaires. Même si les gens étaient bloqués physiquement dans leurs habitations, les cerveaux fonctionnaient à vive allure, pour trouver des solutions. La première a été sans doute une solution au manque d’équipements médicaux. Des couturières de plusieurs pays se sont mises à fabriquer des masques artisanaux et des blouses médicales en grande quantité. Des entreprises ont changé leur production habituelle pour s’orienter vers le matériel médical, les fournitures médicales et la recherche sur un ou plusieurs médicaments pour alléger les symptômes, en attendant de fabriquer un vaccin. Il y a alors eu une coopération entre individus. L’entreprise américaine 3M a tout de même pu livrer ses masques au Canada contre vents et marées, mais surtout en dépit des impératifs de l’administration américaine. Le prétexte de l’entreprise était que les masques N95 étaient essentiels à la survie humaine et ne pouvaient pas appartenir qu’à un seul pays de façon égocentrique.

De grands débats se sont dessinés: la gestion de crise, les modèles du futur et la reconfiguration du système international. Comme tant d’autres, je ne suis pas engagée politique, mais j’ai des yeux pour voir les choses telles qu’elles sont présentées sur la scène internationale. Le système international tel que nous l’avons connu est un rapport de forces avant d’être un rapport d’idées. En d’autres termes, c’est le plus fort et le plus riche qui gagne. Un tel modèle est appelé à changer. Les grandes puissances se sont montrées inaptes à confiner le virus et à gérer sainement la crise qui les a frappés. Les autorités chinoises se sont certes mobilisées comme jamais pour faire croire que leur pays serait le gagnant de l’histoire, tentant de justifier au passage leur modèle politique. Certes, la Chine a montré une efficacité dans une mise en oeuvre du confinement, mais a montré, aussi, une opacité sur le nombre réel de décès liés à la pandémie… pandémie qui a tardée à être signalée par la Chine au tout début de son éclosion. Les États-Unis n’ont pas su faire mieux. Le pays s’est vite placé numéro un à l’échelle mondiale dans la pandémie, ne souhaitant pas être le dernier du peloton. Après avoir minimisé la virulence du COVID-19, le pays a pensé à son économie avant tout. Relancer l’économie était le mot d’ordre du président et semblait être la chose la plus appropriée à faire. Leurs avions n’ont jamais été cloués au sol, propageant allégrement le virus aux quatre coins des 50 états. La gestion de crise a été laissée aux gouverneurs des états qui, bon gré mal gré, ont pris quelques mesures de distanciation sociale. L’administration américaine a fermé ses frontières avec le Canada pour nous empêcher (nous, Canadiens) d’aller contaminer les États-Unis. C’est dire la perversion narcissique qui règne à la Maison-Blanche ! Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de voir les Mexicains demander à ce que le mur frontalier soit construit, finalement. Le Royaume-Uni, autre puissance mondiale, avait décidé de laisser courir « la chose » au tout début de la crise pour une immunité de masse. Les funestes prévisions qui risquaient de décimer leur île ont fait changer d’idée le Premier ministre qui, quelques jours plus tard, était aux soins intensifs. Des mesures ont été prises trop tardivement et la réalité l’a rattrapé. Toutefois, les Britanniques ont construit un hôpital à Londres en moins de 10 jours qui représente en nombre de lits l’équivalent de 10 hôpitaux. Dans l’urgence, avec de l’argent bien utilisé, beaucoup de choses se réalisent.

Nous pourrions passer en revue tous les pays du G8, du G10, G20… Aucun n’était préparé, alors que certains se disaient « en guerre » contre un ennemi commun. Le Canada ne fait pas exception aux ratés administratifs. Juste au Québec, pour ne donner qu’un exemple, les centres hospitaliers de soins longues durées (CHSLD) ou, plus communément appelés, les centres d’hébergement pour personnes âgées ont été la proie à de multiples éclosions de COVID-19, malgré des règles strictes d’isolement social. Toutefois, des employeurs ont fait travailler des employés ayant des symptômes et ont refusé de les tester. Ces employés se sont promenés d’un service « chaud » à un service « froid », souvent sans protection aucune. Les personnes âgées, les plus vulnérables de cette pandémie, ont été les laissées pour compte de l’histoire. Le gouvernement a envoyé du personnel médical pour venir en aide aux CHSLD, mais le mal était déjà fait. Les aînés tombaient déjà comme des mouches. Même phénomène en Espagne: l’hécatombe dans les maisons de retraite.

Plusieurs leçons seront à tirer de cette pandémie. La distanciation sociale restera présente jusqu’au dernier cas sur Terre… et même au-delà, dans la crainte de voir surgir une nouvelle vague. Nous ne connaîtrons jamais le nombre exact de décès liés au COVID-19. Comme pour la grippe espagnole de 1918-1919, on dira « entre x et y millions, selon les sources ». Si l’administration américaine n’a pas encore crié aux « fake news » sur Twitter concernant les tristes chiffres des décès, c’est parce qu’ils sont vraiment en-dessous de la vérité. Les personnes de couleurs ont été les plus durement touchées, probablement à cause de la pauvreté et à cause du manque d’accès aux soins de santé. Historiquement, les personnes de couleurs, aux États-Unis, ont toujours été moins considérées que les autres. C’est devant ce modèle de société totalement inégalitaire que l’on constate que le « rêve américain » ne sera jamais un idéal à atteindre. L’ultra capitalisme se fout du malheur des uns et des autres et ne compte que sur son économie pour se faire valoir, oubliant au passage les valeurs humaines. Il pourrait y avoir une ère post-américaine après la pandémie, un nouvel ordre mondial. Les États-Unis se sont trop bien illustrés dans un égocentrisme crasse qui a mis en danger des centaines de milliers de gens autour d’eux. Les pays qui le peuvent vont se tourner vers une production intérieure pour s’assurer une certaine « auto-immunité » par rapport aux USA qui privilégient l’Amérique d’abord… mais où étaient les très très riches entreprises pour participer à « l’effort de guerre » ? Si certaines entreprises se sont montrées très présentes malgré leur précarité, d’autres, par contre, qui auraient eu les moyens d’aider l’humanité, sont restées très discrètes (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft…)

Les frontières ont été remises en place, alors qu’on s’ouvrait, petit à petit, un peu plus au monde. Les pays aux tendances dictatoriales (ou aux régimes totalitaires) pourraient prolonger la durée de l’état d’urgence (pour contrôler la population, instaurer un système de couvre-feu, valoriser une surveillance des individus sous prétexte d’éviter les rassemblements, etc.) et la fermeture des frontières du territoire (pour limiter le déplacement). Même dans les pays dits « démocratiques », pour une durée indéterminée, nous pourrions voir nos droits fondamentaux restreints au nom d’impératifs collectifs de protection. Dans un tel cas, la persuasion a bien meilleur goût que les sanctions financières ou pénales. Le bon sens commun devrait survivre à la pandémie dans un modèle plus humain, plus axé sur une protection individuelle tout autant que collective. Les « me-myself-and-I » seront appelés à revoir leurs priorités. La pandémie a révélé une série de peurs qui, malheureusement, perdureront. C’est tout le contrat social qui devra être revu de fond en comble, une fois que nous aurons percé le brouillard de la pandémie qui obscurcit notre futur à tous. Il y aura un « après » COVID-19 car nous avons tous été témoins des failles du système actuel et nous souhaiterons l’améliorer pour le bien des générations futures.