Pour répondre à cette question, il faut d’abord connaître le b.a-ba du domaine journalistique. La rédaction d’un article, qu’il soit axé sur le travail d’un artiste ou sur un événement artistique, doit répondre à des critères strictes, dont le premier, sans doute, est de véhiculer de la matière à informer: de l’information ! Ensuite, il faut écrire pour son lecteur, ce qui signifie qu’il faut écrire pour être lu et pour être compris. La plupart des médias exigent également, pour publier un texte, qu’il se conforme à quelques règles du milieu, en un mot: qu’il fasse professionnel. L’écriture doit s’adapter au genre rédactionnel choisi et au type de média visé.

Le lecteur lit vite et lit très sélectivement. Seuls les textes bien écrits ont des chances de trouver un public assez large, pour le satisfaire et l’informer. Etre publié, être lu, être compris, ce sont les objectifs de tous les auteurs de «nouvelles». Il existe de grands principes d’écriture dans le domaine journalistique: objectivité, neutralité, impartialité – à moins qu’il s’agisse d’une critique. Le critique d’art donne alors sa «perception». L’objectivité est alors remplacée par l’analyse éclairée, le jugement et/ou le commentaire. C’est le propre du critique. Chaque genre d’article commande un traitement particulier de l’information.

Dans les journaux, il y a de la matière publicitaire et de la matière rédactionnelle. Un article peut être coincé entre deux publicités et, si on regarde de près, sur une page, les publicités ou les réclames prennent plus d’espace que les articles ! C’est d’abord et surtout la matière publicitaire qui détermine le nombre total de pages du journal. Ceci dit, l’espace rédactionnelle est plus importante le mercredi et le samedi. Le journal s’adresse tout aussi aux consommateurs, aux annonceurs qu’aux citoyens-lecteurs. C’est une réalité du marché. Les articles et textes d’information sont rédigés par les journalistes du journal (reporters, pupitreurs, chroniqueurs, cadres de la rédaction) ou des gens de l’extérieur (journalistes des agences de presse, correspondants, pigistes, collaborateurs spéciaux), ou ils sont sélectionnés et plus ou moins remaniés par des journalistes, comme dans le cas des communiqués de presse.

Dans le contexte journalistique, on considère habituellement que les médias d’information ont trois grandes façons de traiter l’actualité: ils la rapportent, ils l’expliquent et ils la commentent. On rattache divers types de «papiers» à des journaux spécifiques. En effet, Le Monde diffère du Journal de Montréal dans le traitement de l’actualité. Le Devoir, Le Figaro, Libération, Le Soleil, etc. Ils ont tous leur manière bien à eux de traiter l’information. Certains journaux occulteront totalement l’art et la culture pour parler du monde de la finance, par exemple. Les hebdos locaux ne parleront pas d’un fait d’actualité qui s’est passé à 1000 km de leurs lecteurs. Il convient donc d’adapter l’information et le traitement de celle-ci au journal visé.

Les principaux genres de l’information rapportée sont: la nouvelle, la brève, la photo-nouvelle, le compte-rendu, le reportage, le grand reportage, le photoreportage, le portrait et l’interview. Pour l’information expliquée: le dossier et l’analyse. Pour l’information commentée: la chronique, la critique, l’éditorial, le bloc-notes, la caricature et le billet.

La critique dans le monde des arts, des spectacles et de la littérature peut faire l’objet de textes de divers genres (nouvelles, reportages, portraits, interviews, etc.) et, bien sûr, de critiques. Une critique est un article de presse qui présente et commente les événements culturels : sortie d’un livre, d’un film, la première d’une pièce de théâtre, d’une exposition, d’un concert, d’un opéra, d’un spectacle de danse, etc. La crédibilité du critique découle des connaissances considérables qu’il possède dans le domaine qu’il couvre. Cette compétence, toutefois, ne suffit pas à faire de la bonne critique. L’intérêt du texte, pour le lecteur, vient aussi de la sensibilité et du style bien personnel du critique. Un pur technicien du cinéma n’intéressera que les érudits – peu de gens, en fait. En revanche, un journaliste à la fois connaisseur, passionné et bon styliste sera lu, pour le plaisir, même par des personnes qui ne partagent pas ses opinions, mais qui n’en dégustent pas moins tous ses articles jusqu’à la dernière ligne. Malheureusement, peu de journalistes se consacrent essentiellement aux arts visuels. Ils couvrent les événements «majeurs» qui génèrent de la publicité et des retombées économiques. L’exposition de l’artiste du coin ne génère rien sinon un espace en moins dans le journal pour une publicité payante ! Et où est le scoop pour eux?

Si les journalistes sont des experts en témoignage, c’est qu’en général, le secteur d’activité qu’ils couvrent leur est familier et qu’ils sont des observateurs plus attentifs. Quand on entend demander, par un journaliste qui interroge un artiste, «quelle est la différence entre l’art figuratif et l’art abstrait ?», on ne va pas lui demander de rédiger un condensé vulgarisé sur le principe du nombre d’or ! On ne peut pas non plus s’attendre à un article étoffé. Le journaliste se contentera de mentionner les dates de l’exposition – et ce sera déjà beaucoup pour lui… mais où sera l’intérêt du lecteur ? Il y a tant d’artistes! Comment distinguer l’artiste amateur, du semi-pro du professionnel quand on ne sait pas reconnaître une aquarelle d’une peinture à l’huile faite au couteau?

Oeuvre de Bernard Hild
Oeuvre de Bernard Hild

LE COMMUNIQUÉ

Souvent, le journaliste construit sa nouvelle avec des informations qui lui sont fournies par des sources extérieures. C’est le cas des dépêches d’agences et des communiqués de presse. De telles sources séduisent par leur facilité. Un communiqué devrait donc être conçu de manière à faire la nouvelle. Il se présentera comme un article déjà prêt à être publié dans une forme bien précise. On peut ainsi éviter la catastrophe journalistique. La plupart des articles sur les artistes et/ou sur leurs expositions viennent de communiqués envoyés par les directeurs de galeries, les agents d’information, les attachés de presse, les relationnistes, les commissaires, les agents d’artistes et/ou tous les autres intervenants dans le milieu culturel et artistique qui font la promotion d’un artiste ou d’une exposition. Il faut faire sa propre nouvelle, la rédiger soi-même et, par conséquent, il faut maîtriser d’abord parfaitement l’information qu’on veut transmettre clairement tout en ne perdant pas de vue l’élément primordial de l’opération: «avoir de la matière à nouvelle». Il faut pouvoir répondre, dès les premières lignes du communiqué, aux questions: Qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi. Un journaliste qui reçoit un communiqué n’a pas le temps de jouer aux devinettes. Les informations doivent lui être données, de façon claire et sans figure de style.

L’art n’étant pas un sujet évident pour quelqu’un qui n’est pas dans le domaine, on ne peut pas demander à un journaliste couvrant habituellement la scène sportive de se livrer à une rédaction enflammée et passionnelle pour l’art visuel – ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’il soit totalement ignorant en matière d’art. On peut néanmoins le soupçonner de ne pas tout connaître dans ce domaine. Autant l’aider un peu ! L’article s’adressant à un large public, pas forcément aux habitués des galeries d’art, il n’est pas utile d’expliquer de long en large une technique qui va noyer dans des détails hermétiques quelque chose qui pourrait s’expliquer simplement par une démonstration lors du vernissage. Il faut éviter l’érudition et l’académisme. Il faut rendre l’art visuel attrayant pour monsieur-et-madame-tout-le-monde et non élitiste. N’oubliez pas que l’espace compte dans un journal. Il vaut mieux viser court avec les informations les plus essentielles au tout début. Les communiqués trop longs sont toujours coupés par le bas. N’oubliez pas non plus que les communiqués sont innombrables; certains ne se rendent jamais jusqu’en salle de rédaction.

Oeuvre de Chaguy (Chantale Guy)

S-S-S

Pour tous les médias d’information, une part de l’actualité est incontournable: guerres, explosions, élections… Il y a aussi des médias dits «populaires» qui privilégient les trois S (le sang, le sexe et le sport), devenus quatre (avec le spectacle). Certains médias dits «sérieux» accordent plus d’importance au social, à la politique et à la culture (très générale). Les journalistes font le tri des informations et selon l’importance qu’ils accordent à ces éléments, mais tous iront vers la nouveauté car l’actualité se défraîchit vite.

Les médias d’information travaillent aussi dans le prévisible. Même la presse électronique et les quotidiens planifient la plus grande part de leur production sur une semaine et plus. Ils vénèrent l’événement imprévisible et exceptionnel, la vraie nouvelle, qui les met en émoi et en action, mais il couvrent davantage les événements organisés, planifiés ou annoncés.

Dans le contexte de l’événement imprévisible, quintessence de la nouveauté pour le journaliste, on comprend mieux pourquoi le chat à deux queues peut faire parler de lui.

L’imprévisible exerce une fascination journalistique, mais aussi l’inattendu, l’inusité, le bizarre, l’étrange… tout ce qui sort de l’ordinaire. Alors, une exposition dans une galerie d’art… où est l’étrangeté de la situation ? Où est l’intérêt du public ? Qu’est-ce qui suscite l’intérêt du public ? Les lecteurs sont-ils concernés par la nouvelle?

Il a été prouvé que l’intérêt d’un événement décroît avec la distance de celui-ci. Un accident qui a lieu dans un pays lointain suscite moins d’intérêt pour le lecteur que s’il s’était produit dans sa cour. Le people (la vie tumultueuse des vedettes et leurs scandaleuses révélations) fait vendre. Le voyeurisme n’est pas mal non plus. L’action, également, a plus de valeur journalistique qu’une exposition (où il ne se passe rien de spécial). Le sensationnalisme est l’élément qui fait vivre la presse marchande. Pour informer, il faut aussi intéresser… d’où son utilisation pour captiver. Il n’y a qu’à lire les gros titres et les leads de certains journaux pour s’en rendre compte. Tous les médias sont soumis à des impératifs économiques.

LES ARTS VISUELS DANS LES MÉDIAS

Les arts visuels qui devraient avoir une visibilité dans notre société sont occultés des médias pour différentes raisons. D’abord le nombre d’artistes y est pour beaucoup: Trop d’artistes, trop d’expositions, trop de galeries et trop de vernissages en même temps… et trop peu de journalistes spécialisés dans le domaine des arts visuels pour faire le tri ! Des dates d’exposition, un lieu et une heure de vernissage ne contribuent pas à faire une «nouvelle» au sens journalistique du terme. Il faut beaucoup plus pour les inciter à se déplacer pour couvrir un vernissage.

Et lorsqu’une personne, ayant des connaissances en arts visuels, se déplace pour couvrir un événement, à titre de critique ou de chroniqueuse artistique, elle n’est pas libre de faire son travail ! Pour un reportage photographique qui va se retrouver sur Internet, il faut demander l’autorisation de la galerie voire de tous les artistes-exposants – ce qui n’est pas une mince affaire. Si cette personne veut prendre une photo d’ambiance du vernissage, il faut en informer les gens présents car certains n’aiment pas être pris en photo sans savoir où se retrouvera la photo et à quoi elle va servir. Il peuvent, à l’occasion, revenir contre le photographe ou contre le journal, prétextant n’avoir jamais signé d’autorisation. Pendant le vernissage, c’est tout juste si on ne soupçonne pas le reporter de prendre des photos dans un but malhonnête. Il n’est donc pas rare d’entendre «avez-vous l’autorisation de l’artiste pour prendre ses peintures en photo ?». Ce qui pourrait devenir un formidable outil de promotion, pour un événement et/ou pour des artistes en arts visuels qui méritent qu’on parle d’eux, se transforme en une déception générale. Le journaliste spécialisé, voyant son travail entravé par autant de mauvaise volonté, d’obstacles et de suspicion de la part du public, des artistes, mais aussi, parfois, des organisateurs eux-mêmes, s’en remet à une brève, sans photo, sans rien de passionnel; le strict minimum qui n’a pas l’effet promotionnel escompté. J’en parle en toute connaissance de cause puisque j’ai couvert de nombreuses expositions au Québec entre février 2008 et aujourd’hui. Je me suis heurtée pratiquement aux mêmes obstacles à chaque fois. C’est extrêmement compliqué de couvrir un événement artistique au Québec et les artistes sont les derniers à le savoir et les premiers à se plaindre qu’aucun journaliste ne s’est déplacé pour couvrir leur vernissage!

La culture, à moins d’être poussée par des industries majeures, telles que l’industrie du cinéma et du disque, apporte peu de retombée pour le média d’information. Avant de parler d’une exposition d’un artiste méconnu dans une galerie, la vache folle, le chat à deux queues et l’enfant à deux faces seront les premiers à voler la vedette de l’artiste en arts visuels qui a besoin de visibilité pour se faire connaître et reconnaître et, éventuellement de pouvoir vivre de son art. Les journalistes qu’ils soient spécialisés ou non n’ont pas le temps de gérer toutes les difficultés reliées à la couverture d’un événement artistique. Ils vont au plus facile, au plus rapide et au plus rentable pour leur journal.

Paru orginellement en 2012, ce texte, toujours d’actualité, a été revu en juin 2020 et est représenté sur HEART dans une nouvelle forme.