Pour vous, l’art doit-il représenter le réel ou, au contraire, doit-il éloigner du réel pour proposer un univers où tout est plus pur, plus beau, plus léger ? Pour vous, la contemplation de l’art doit-elle libérer du fardeau quotidien et proposer un plaisir esthétique ou doit-elle redonner du sens au quotidien afin de pouvoir le vivre avec plus de force et d’acceptation ?
En tant qu’experte en art qui évalue régulièrement des oeuvres contemporaines dans des collections privées et corporatives, j’aime que les oeuvres m’apprennent des choses sur l’artiste et sur la perception du monde qui l’entoure. L’art doit-il représenter le réel ? Oui, bien sûr. L’art doit-il éloigner du réel pour proposer un univers où tout est plus pur, plus beau, plus léger ? Oui, également. L’un n’exclut pas l’autre car ils sont complémentaires. Pourquoi d’ailleurs proposer un univers où tout est plus pur, plus beau, plus léger sinon pour fuir le réel ?
L’art doit faire la synthèse entre réel et imaginaire. Il doit aussi faire prendre conscience des enjeux sociaux, comme il doit faire rêver pour embellir ce monde, pour proposer un idéal à atteindre. Il doit prendre la parole comme acte individuel ou collectif. Il doit déstabiliser pour faire réagir. Il doit, dans une certaine mesure, provoquer une réaction. Il doit toucher, émouvoir, suggérer un état d’être ou un état d’âme. Il peut susciter un large éventail de possibilités car l’art peut tout et l’artiste est le porte-parole de ce qui est proposé au public.
L’art doit prendre la parole comme acte individuel ou collectif.
L’artiste peut porter son regard sur une situation qui doit fait réfléchir, comme Banksy qui utilise la peinture pour faire passer ses messages, qui mêlent politique, humour et poésie. Certaines de ses images sont très fortes, telles que le petit garçon qui met une fleur au bout d’une arme d’un soldat (Soldier Flower Gun Boy), un « flower power » bien senti, ou encore, le jeteur de fleurs (Rage, the Flower Thrower or Love is in the Air).
Cette dernière oeuvre, l’une des plus iconiques de l’artiste, raconte une histoire. En 2005, une parade de la Gay Pride a été organisée à Jérusalem et les participants ont été pris dans une embuscade par des manifestants qui en ont poignardé trois et blessé plusieurs autres. L’homme peint en noir et blanc représente l’un des manifestants. Il tente de dissimuler son identité avec son bandana sur son visage, tandis que les fleurs sont de couleurs vives, multicolores, ce qui pourrait être interprété comme une allusion directe au drapeau de la fierté gay. Les fleurs elles-mêmes signifient l’espoir d’une résolution pacifique des conflits dans ce coin du monde. L’expression du visage et la posture de l’homme suggèrent de manière non équivoque une intention violente. Cependant, en substituant un rocher, un cocktail Molotov ou une bombe par un simple bouquet de fleurs, Banksy prône la paix plutôt que la violence. Le bouquet dans cette image symbolise, en plus, la vie et l’amour. Il peut également être associé à la commémoration des vies perdues pendant le conflit. L’oeuvre est un excellent exemple de l’utilisation de l’art pour transmettre un message qui a une portée mondiale.
L’artiste a le pouvoir d’utiliser son art pour changer le monde. En tant que commissaire d’exposition, j’ai un certain pouvoir de mise en scène. Je mets en lumière des oeuvres avec une scénographie particulière, mais le vrai pouvoir, c’est l’artiste qui le détient. Il peut prendre acte, dire simplement, exprimer des émotions ressenties, déstabiliser par son propos, montrer le meilleur de nous, élargir les consciences, faire rêver… car le rêve fait aussi partie de la vie.
La contemplation de l’art doit-elle libérer du fardeau quotidien et proposer un plaisir esthétique ou doit-elle redonner du sens au quotidien afin de pouvoir le vivre avec plus de force et d’acceptation ?
Les deux. C’est dans la contemplation d’une oeuvre qu’on la comprend et qu’on la fait vivre en soi. Elle peut proposer un plaisir. Elle peut redonner un sens au quotidien. Elle peut tout faire. Comme le disait si bien le chanteur québécois Claude Dubois, «j’aurais voulu être un artiste, pour avoir le monde à refaire. J’aurais voulu être un artiste, pour faire du laid, pour faire du beau, pour pouvoir dire pourquoi j’existe».
SUR INTERNET
www.helenecaroline.com